Méthode TRIZ : Les Hommes Miniatures à la rescousse

L'un des Creativity Triggers les plus simples de la méthode TRIZ, et peut-être le plus puissant : les Smart Little People !

J'ai présenté la méthode TRIZ dans cet article dont je vous conseille la lecture préalable. Pour le présent exposé, voyons une petite technique qui est très utile et appliquons-la à un sujet Système/Produit. 

Les 13 Creativity Triggers

La méthode TRIZ propose 13 "Creativity Triggers". Ce sont des techniques de coups de pouces mentaux pour stimuler la créativité, trouver des exigences pour notre Produit (si on travaille à la conception d'un Système), comprendre des situations, trouver des solutions, avoir des points de vue différents.

Ils peuvent être utilisés à n’importe quel moment dans une réflexion de résolution de problème ou de conception avec TRIZ, ou même complètement en dehors d'une démarche TRIZ. Ce qui les rend d'autant plus intéressants.

Il sont au nombre de 13 (je donne ici les noms en Anglais, ce qui est plus pratique pour les rechercher sur Google):

Aujourd'hui, nous allons nous intéresser aux Smart Little People, dits aussi les Hommes Miniatures.

Les Smart Little People (Hommes Miniatures)

Bonjour !

En quoi cela consiste ? Tout simplement à se représenter la situation qui nous occupe avec des petits bonhommes. La situation peut correspondre à un problème, ou bien à sa solution. 

Même si la problématique est très technique et très pointue (problème de processeur sur une carte électronique, par exemple), cette méthode est très efficace. C'est étonnamment puissant !

Pourquoi ? Car cette technique stimulerait la partie empathique du cerveau, celle qui est rarement utilisée en ingénierie. Il est donc attendu que les solutions trouvées soit plus ou moins innovantes ou en tout cas surprenantes pour le domaine d'étude. Je précise que j'ai cherché mais n'ai trouvé nulle part une véritable étude prouvant ces dires. C'est ce qui est avancé en tout cas dans bon nombre de textes sur TRIZ.

Voyons quelques exemples pour illustrer ce qu'on peut tirer de ce creativity trigger. Précisions : ce n'est pas en 1h dans le cadre de la rédaction de cet article que je vais trouver les problèmes fondamentaux de l'Humanité et les résoudre avec des petits bonhommes rigolos. Il faudra être indulgent avec les exemples et leur innovation dans la vraie vie ! Si toutefois vous vouliez breveter, ne m'oubliez pas dans les auteurs, merci.

Exemple 1 : Mécanique

Cet exemple est tiré de la carrière d'Ingénieur d'Altshuller, lorsqu'il était dans la Marine.

2 bateaux minesweepers à l'approche vers une mine

On est en plein Guerre Froide. Le bloc de l'Est dépose des mines sur les fonds marins. Le bloc de l'Ouest a recours a des dispositifs anti-mines pour les supprimer.

Le dispositif anti-mine fonctionne comme suit : 2 bateaux se déplacent côte à côte, reliés par un câble qui pend dans l'eau. Lorsqu'une mine se trouve sur le passage, le câble anti-mine vient impacter la chaîne qui retient les mines immergées. A ce moment-là le câble court le long de la chaîne et finit par taper la mine, qui explose (et est donc neutralisée) ou qui se détache de la chaîne et remonte à la surface (devenant détectable).

Comment faire en sorte que ces câbles anti-mines ne viennent pas déplacer ou exploser ces mines ? Modélisons la situation avec des SLP.

On représente la chaîne de fixation de la mine sous-marine via des SLP

Si notre chaîne était constituée de petits bonhommes se tenant les uns les autres par les pieds, il suffirait qu'au passage du câble le bonhomme impacté lâche le pied de son voisin de sa main droite, laisse passer le câble vers son bras gauche, puis, rattrapant le pied de son camarade avec sa main droite, relâche de sa main gauche le pied tenu et laisse ainsi échapper le câble.

Comment mettre cela en musique via un Système concret ?

La solution résultante : des "portes rotatives" placées sur les chaînes des mines

On a ainsi créé la possibilité pour le câble anti-mine de traverser la chaîne : imaginez les grands portiques rotatifs aux entrées des hypermarchés. Le câble se loge dans une cavité de la pièce tournante, puis ressort de l'autre côté une fois que cette cavité a tourné et s'est présentée vers la sortie.

Les bateaux passent et aucune mine n'explose. Cette solution est maintenant utilisée de manière répandue par les militaires.

Exemple 2 : Thermique (si on peut dire)

Cet exemple est tiré de ma vie, et je suis sûr qu'il vous parlera.

Il fait chaud là-dessous !

Vous êtes dans votre lit, c'est la mi-saison. Disons le printemps. Vous avez encore votre couette de l'hiver, mais celle-ci vous tient trop chaud. Vous ne pouvez pas encore mettre vos draps d'été puisque vous auriez au contraire trop froid. Vous voilà donc réduit à la fameuse technique du "Je dors avec une jambe en dehors de la couette" afin de tempérer votre corps... N'y aurait-il pas une solution plus élégante à ce problème majeur ?

Représentons-nous la situation avec des SLP.

La couette est un ensemble de SLP qui se tiennent les uns les autres

Avec de cette modélisation, on peut alors se demander : ces petits bonhommes ne pourraient-ils pas se tenir serrés les uns aux autres (bras dessus, bras dessous) lorsqu'il fait froid dans la pièce afin de me tenir chaud, et au contraire se tenir de manière plus lâche (main dans la main) lorsqu'il faut chaud ?

La couette de l'an 2023 !

Une idée de couette révolutionnaire : une couette qui ne serait pas une surface matérielle continue, mais plutôt un "grillage" de boudins du même garnissage qu'on pourrait écarter et resserrer à notre guise ? J'ai un peu chaud --> je me crée une petite "meurtrière" en écartant 2 fils de fer du grillage (ou autre matériau...). Et si j'ai trop froid --> je resserre ces fils de fer et donc augmente la densité de boudins de couette qui me recouvrent.

Peut-être même pouvons-nous imaginer un dispositif mécanique venant écarter/refermer toutes les mailles de ce grillage en même temps... On tirerait sur un fil de laine quelque part, et le tout s'ouvrirait ou se resserrerait ?

Exemple 3 : Électronique

Quelques problèmes courants en électronique :

  • Les piles de sauvegarde qui sortent de leur logement
  • Les piles qui fuient et coulent sur le PCB
  • Les soudures défectueuses entrainant des faux contacts
  • Les câbles recourbés qui finissent par se dégrader en laisser apparaître les fils à nus

Si on considère le sujet des câbles, voici la situation:

Cela arrive avec des câbles pour charger son téléphone, des câbles Ethernet, ...

Imaginons la situation avec nos amis les SLP :

La gaine du câble est constituée de SLP

Sans entrer dans des considérations de traction/cisaillement de la matière, on peut constater que les bonhommes sont en souffrance : ceux à l'extérieur de la courbure ont du mal à se tenir les pieds. Ceux à l’intérieur sont complètement tassés.

Quand je vois cela, je me dis qu'il serait bénéfique de soulager leur peine : des bonhommes supplémentaires à l'extérieur pour leur éviter de finir écartelés, et en moins à l'intérieur pour qu'ils puissent s'agencer de manière plus confortable.

1 bonhomme en mois côté intérieure de la courbure, 1 en plus côté extérieur

Dans la vraie vie, qu'est ce que cela donnerait ? On peut imaginer une solution technique où les câbles subissant des courbures supérieures à ce qui est recommandé voient, avant leur installation, leur gaine sectionnée à l'endroit où la courbure est la plus forte, puis une gaine supplémentaire (coupée en biais) est ajoutée pour recouvrir les fils et encaisser la courbure. En résumé, on vient rallonger la gaine là où c'est nécessaire, et la réduire là où c'est utile.

On coupe la gaine originelle, et on y ajoute une gaine supplémentaire

Comment traiter les 3 autres problèmes classiques d'électronique que j'ai évoqué plus haut ?

Exemple 4 : Logiciel

2 sujets courants en développement Software :

  • Vous avez un logiciel dont vous avez du mal à comprendre le fonctionnement à la lecture du code (parce qu'il a été codé par quelqu'un d'autre par exemple).
  • Votre logiciel est très lent à s’exécuter sur la plateforme électronique choisie

Pour le premier sujet, les SLP peuvent nous aider : il suffit d'imaginer le fonctionnement de son logiciel comme un bonhomme qui réalise les tâches lui-même. Cela rejoint un peu la technique du rubber duck : on essaie de se représenter au plus simplement et au plus pratique ce qui est effectué par notre code.

Pour le second sujet... Nous allons faire quelques dessins. Pour cette problématique, j'essaie de me représenter le logiciel qui pédale dans la semoule comme une situation mettant en jeu des SLP : Les SLP veulent aller au stade.

Ce soir c'est match !

Disons que les instructions à traiter par le processeur soient des petits bonhommes. Ils font la queue pour passer au guichet et pénétrer dans l'enceinte du stade. Le guichetier représente le processeur, qui traite à la chaîne les instructions, comme un guichetier scanne/vend à la chaîne les billets pour le match du jour.

Notre problématique consiste à accélérer l'exécution des instructions par le processeur. Et ainsi réduire/fluidifier la queue au maximum. Que pouvons-nous imaginer comme solution pour ce faire ? Et comment appliquer ces solutions à notre logiciel ou notre électronique ? 

  • Solution 1 : Ouvrir d'autres guichets et faire plusieurs queues --> Considérer un processeur multicoeurs et faire du multithread
  • Solution 2 : Mettre un guichetier plus efficace --> Changer le processeur pour un capable d'envoyer davantage de MIPS
  • Solution 3 : Le guichetier sous cocaïne --> overclocking du processeur (ce qui peut dans les 2 cas poser quelques problèmes...)
  • Solution 4 : Dire aux détenteurs de billets de venir par vagues (les spectateurs ont une heure précise d'arrivée au stade recommandée, inscrite sur leur billet) pour étaler la charge du guichetier dans le temps --> ordonnancer de manière plus maline et au juste besoin les tâches réalisées par le code
  • Solution 5 : Supprimer le guichet et entrée libre --> Plus de check d'intégrité des données avant exécution de tâches par le processeur (il devra toujours y avoir exécution à un moment tout de même)
  • Solution 6 : Supprimer le guichet et entrée libre... uniquement en cas d'engorgement --> plus de check sur les données si le buffer se remplit au delà d'un seuil critique
  • Solution 7 : Ne pas jouer le match --> Eviter l'utilisation d'un logiciel pour la fonction du Produit qui nous occupe.
  • Solution 8 : Regarder le match chez soi et ne pas aller au stade. Le match vient à soi et non l'inverse --> On déporte et démultiplie la capacité de calcul. Par exemple, au lieu de réaliser toutes les opérations sur un seul processeur, faire réaliser des prétraitrements ou des opérations complètes par des microcontrôleurs supplémentaires situés au plus proche de la donnée/des mémoires et qui communiquent avec le processeur les informations prétraitées/traitées.
  • Solution 9 : Faire entrer les VIP via un système de FastPass comme à Disneyland --> Les instructions prioritaires (interruptions critiques etc.) grillent la queue et sont gérées prioritairement.
  • ...
  • Solution N : Combinaisons de tout ou partie des solutions précédentes.

Conclusions

Vous voyez que cette technique permet de traiter des problèmes très divers, et très techniques. Il ne faut pas hésiter à l'utiliser !

Cela ne prendra que quelques secondes pour modéliser le sujet dans votre tête avec des smart little people, et peut-être une 30aine de seconde supplémentaires pour que vous commenciez à voir apparaître un début de solution !

Et vous, quel problème voudriez-vous traiter avec cette technique ?

Aurélien NARDINI

Graphisme et participation aux idées : sora-art.fr

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